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Salle de bains/Vestiaire
Sqweegel se frotta les mains avec du savon en poudre et regarda l’eau rosâtre tourbillonner au fond du lavabo en faïence. Encore une misérable existence qui finissait l’égout. Mais ce sacrifice annonçait quelque chose de neuf, de merveilleux. Il était tout excité rien que d’y penser.
À présent, cependant, il fallait s’occuper des questions matérielles comme le rasage.
La lame de Sqweegel était propre, et l’eau chaude. Il s’était hydraté la peau avec de l’huile végétale – jamais de mousse à raser, ce serait comme tondre une pelouse sous vingt centimètres de neige. Il voulait voir ce qu’il faisait. Dans les moindres détails.
De haut en bas. Les parties découvertes en premier : crâne, visage, cou, avant-bras, poitrine, jambes.
Il marquait une pause après chaque passage de la lame pour la rincer sous l’eau. Des fragments de poils noirs et de minuscules lambeaux de peau tourbillonnaient dans le lavabo avant de disparaître.
Ensuite, les aisselles. L’arrière des jambes. Les chevilles.
Rasage. Pause. Rinçage. Disparition.
Venait enfin la partie la plus difficile – bien que la plus gratifiante – du processus : ôter les poils de ses parties génitales et de son anus. Pour y parvenir, il devait tirer sur son scrotum pour qu’il soit parfaitement tendu et prêt pour le passage de la lame. La position adéquate exigeait du temps, parfois jusqu’à cinq minutes. En revanche, il passait toujours le rasoir d’un geste ferme et soigneux.
Pour raser l’anus, c’était encore plus compliqué. Les pieds relevés et appuyés contre les parois carrelées de sa salle de bains industrielle, le torse bombé, pour pouvoir l’atteindre plus facilement, appuyé sur une main, le rasoir dans l’autre. À croire qu’il avait le bas de la colonne vertébrale montée sur charnière pour réussir à se plier en deux. Le rituel était identique : rasage, pause, rinçage dans une cuvette d’eau chaude. Il prenait son temps et restait parfois dans cette position quelques minutes avant de repasser la lame. Plus il enlevait de poils, plus il se sentait serein, et plus il lui était facile de conserver sa position. Il avait l’impression de se purifier, d’atteindre le salut.
Sqweegel alla dans la pièce voisine, ouvrit le réfrigérateur cadenassé – maintenu en permanence à la température la plus élevée possible – et en sortit quatre plaques et demie de beurre. Il avait essayé par économie de réduire cette quantité à quatre, mais la dernière moitié se révélait indispensable. Cinq, c’était trop, et de toute façon ce n’était pas une solution.
Quatre plaques, c’était l’idéal, d’autant qu’elles étaient vendues par paquets de quatre. Ainsi, tous les huit paquets, il devait en acheter un de plus pour débiter les demi-plaques.
Il essayait de ne pas faire une fixation sur cette demi-plaque. Un jour, il trouverait une autre solution.
Il déballa précautionneusement la première plaque, la coupa en deux et entreprit de s’en frotter la poitrine et les épaules – parties les plus étendues de son corps – avant de s’occuper de ses extrémités. Chaque membre nécessitait une demi-plaque, tout comme les parties génitales et l’anus. La couche de beurre devait être identique partout : pas de surépaisseur ni de couche trop mince.
La dernière portion – un quart de la dernière demi-plaque – était étalée sur la partie du costume qui couvrait la plante des pieds. Il fallait un certain coup de main pour appliquer la quantité désirée.
Au tour du costume.
Il était étalé sur un morceau de bâche plastique industrielle sur le sol de la pièce, qu’il avait désinfectée au cours des derniers jours. Était-il immaculé ?
Pas de trou ni de tache. Les parties des trois fermetures Éclair – dents, glissières, extrémités –, tout était parfaitement en état.
Le costume était prêt. Lui aussi.
Il entreprit de s’y glisser, manœuvre aussi lente que précise. Un spectateur aurait pu y voir un phasme d’un mètre soixante-sept et cinquante-sept kilos s’envelopper dans une mince chrysalide blanche taillée sur mesure. À condition d’avoir la patience nécessaire pour regarder jusqu’au bout ce processus qui prenait deux heures. Pour lui, peu importait la durée. Il restait concentré sur sa tâche. Et c’était la demi-plaque qui changeait tout. Le nettoyage. Le plastique. Le rasage. Les quatre plaques et demie de beurre. Le costume. Tout menait à cela.
Il se retourna lentement vers le miroir, retardant le plus possible ce plaisir, mais c’était difficile, à présent, vraiment difficile. Il leva les bras en l’air comme pour vénérer quelque divinité céleste.
Il se retourna, lentement, lentement, au rythme des battements de son cœur.
Et enfin le miroir lui renvoya son image.
Personne.